François Christen
Chief Economist
Le succès de la manœuvre d’atterrissage reste incertain, les risques de récession sont élevés.
Article original publié sur agefi.com
Dans le cockpit de la Réserve fédérale américaine (Fed), les instruments transmettent un message limpide: l’économie ralentit et l’inflation continue à perdre de l’altitude. Au loin, on aperçoit une piste d’atterrissage, mais nous ne sommes pas encore à destination après un vol particulièrement agité.
Le repli des ventes au détail observé en décembre (-1,1% par rapport à novembre, 6,2% en glissement annuel) traduit un refroidissement marqué des dépenses de consommation des ménages qui ont épuisé l’excès d’épargne accumulé durant la pandémie. Le déclin de la production manufacturière (-1,3% mensuel en décembre, -0,5% en glissement annuel) corrobore les symptômes de faiblesse reflétés par les enquêtes de l’ISM et de S&P Global. Le recul persistant des ventes de maisons existantes (-1,5% en décembre, onzième baisse consécutive) complète un tableau macroéconomique sombre, malgré l’étonnante fermeté du marché du travail mise en évidence par le nombre réduit des demandes d’indemnités de chômage.
En amont des prix à la consommation, l’indice de prix à la production a fléchi en décembre (-0,5% mensuel, 6.2% en glissement annuel; respectivement 0,2% et 4,6% hors énergie et alimentation). Ces chiffres sont manifestement compatibles avec une décrue de l’inflation au cours des prochains mois, pour autant que les prix de l’énergie restent stables.
Le refroidissement concomitant de l’activité et de l’inflation plaide pour un ralentissement du cycle de relèvements des taux d’intérêt conduit par la Réserve fédérale après la séance de rattrapage de 2022. De nombreux banquiers centraux, parmi lesquels la Vice Chair Lael Brainard et le président de la Fed de New York John Williams, ont exprimé des signaux dans ce sens. Même le «faucon» James Bullard semble avoir mis de l’eau dans son vin, bien qu’il préconise toujours un taux d’intérêt directeur relevé au-dessus de 5%. En bref, l’issue de la réunion du FOMC du 1er février ne fait plus aucun doute: le taux d’intérêt des «Fed Funds» sera augmenté de 0,25 point de pourcentage, vers une marge comprise entre 4,5% et 4,75%.
Dans cette perspective totalement escomptée, le marché obligataire paraît serein. Le rendement du T-Note US à 10 ans s’inscrit toujours aux environs de 3,5% alors que celui du T-bill à 3 mois s’établit à 4,6%. Cette inversion vertigineuse implique de sérieux risques de récession dont la matérialisation pourrait remettre en question le climat d’insouciance qui règne à Wall Street et sur les autres places boursières depuis le début de l’année.
En Europe, la BCE émet des signaux dissonants et difficiles à décrypter dès que l’on essaie de se projeter au-delà de la réunion du 2 février dont l’issue semble scellée (les trois taux d’intérêt directeurs seront relevés de 0,5 point). Les déclarations ambiguës de Christine Lagarde et des fuites maladroitement orchestrées ont attisé l’espoir d’une réduction de l’incrément dès mars, mais ce scénario est loin de faire l’unanimité au sein du Conseil des gouverneurs.
Les rendements en euro n’ont guère varié la semaine passée. Comme aux Etats-Unis, la structure inversée des taux d’intérêt préfigure une probable récession. Au Royaume-Uni, les rendements en livres sterling ont légèrement fléchi à la faveur de multiples symptômes de faiblesse conjoncturelle et d’un reflux de l’inflation. En Suisse, Thomas Jordan a laissé entendre que la BNS pourrait relever davantage les taux d’intérêt, ce qui a provoqué des tensions mineures et favorisé un renforcement du franc.