François Christen
Chief Economist
La décision de la Fed d’entamer le cycle par un geste audacieux a fragilisé les emprunts à long terme.
Article original publié sur agefi.com
Conformément aux « fuites » relayées par Nick Timiraos du Wall Street Journal, la Réserve Fédéral a entamé le cycle de baisses des taux d’intérêt en réduisant le taux d’intérêt des « Fed funds » d’un demi pourcent vers une fourchette comprise en 4.75 % et 5.0 %. Ce choix est discutable, mais pas déraisonnable compte tenu du reflux probant de l’inflation, de 7 % à 2.2 %, observé depuis l’été 2022 et du redressement du taux de chômage, de 3.4 % en avril 2023 à 4.2 % le mois passé.
La décision a été prise à une majorité de 11 contre 1, en la personne de Michelle Bowman qui s’est prononcée en faveur d’une baisse de 0.25 %. Les projections dévoilées mercredi passé et les déclarations de Jerome Powell lors de la conférence de presse invitent à ne pas considérer la baisse de 0.5 % comme un incrément qui s’appliquera automatiquement lors des prochaines réunions. La médiane des prévisions dévoilées mercredi passé n’implique plus que deux réductions de 0.25 % conduisant le taux d’intérêt des « Fed funds » entre 4.25 % et 4.5 % en fin d’année, suivies d’une baisse cumulée de 1 % en 2025. Ces projections impliquent une trajectoire plus prudente que celle qui est encore escomptée par les investisseurs et négociants. En bref, la Réserve Fédérale a amorcé son cycle par un geste fort, mais elle garde un oeil attentif sur l’inflation et n’exclut pas d’interrompre son action si cela se révèle nécessaire.
Outre les prévisions de taux d’intérêt, les autres projections traduisent l’espoir et la volonté d’accomplir un « atterrissage en douceur » caractérisé par une croissance réelle et un taux d’inflation à proximité de 2 % tant en 2024 qu’en 2025, ainsi qu’un taux de chômage culminant à 4.4 % avant de refluer vers un taux de 4.2 % que le FOMC perçoit aujourd’hui comme un niveau d’équilibre à long terme.
La baisse de taux généreuse opérée par la Fed s’accorde assez mal avec les indicateurs récents, généralement souriants. Bien que modeste, la progression de 0.1 % des ventes au détail en août s’apparente à une bonne nouvelle après l’envol de 1.1 % survenu le mois précédent. Le rebond de la production manufacturière, en hausse de 0.9 % en août après avoir cédé 0.7 % en juillet, et le repli des demandes d’indemnités de chômage sont autant de symptômes qui suggèrent que l’économie américaine poursuit une expansion robuste et peu compatible avec une baisse rapide et ample des taux d’intérêt. Ce constat n’a pas échappé aux intervenants du marché obligataire, comme en témoigne le redressement du rendement du T-Note US d’une dizaine de points de base, à proximité de 3.75 %.
En Europe, la Banque d’Angleterre a joué la carte de la prudence en conservant son taux directeur à 5 %. L’évolution favorable de la conjoncture britannique reflétée par la progression soutenue des ventes au détail et des signaux positifs transmis par les enquêtes auprès des entreprises valident l’approche graduelle de la banque centrale. Ces développements ont provoqué un léger redressement des rendements en livres sterling, en phase avec les emprunts en dollars.
Sur le marché des capitaux en euro, les rendements sont stationnaires. La dégradation du climat des
affaires mise en lumière par les dernières enquêtes laisse craindre une récession qui sévit déjà dans le secteur manufacturier. Le déclin du PMI consacrés aux services de 52.9 en août à 50.6 en septembre pourrait annoncer une récession et inciter la BCE à assouplir davantage sa politique dès le 17 octobre, puis le 12 décembre. En Suisse, la BNS est aussi vouée à abaisser son taux directeur à 1 % jeudi tout en laissant entrevoir la possibilité d’une réduction accrue, en phase avec la Fed et la BCE.