François Christen
Chief Economist
La cadence frénétique du cycle monétaire conduit par la Réserve fédérale n’est pas soutenable.
Article original publié sur agefi.com
Les marchés financiers semblent raisonnablement bien préparés à la perspective des relèvements de taux d’intérêt de trois quarts de pourcent que la BCE et la Réserve fédérale (Fed) s’apprêtent à délivrer. Le Conseil des Gouverneurs de la BCE devrait ouvrir le bal jeudi en augmentant son taux d’intérêt de dépôt de 0,75% à 1,5%. Le FOMC entrera en scène la semaine prochaine pour relever le taux d’intérêt des Fed Funds de 3% à 3,25% vers une marge comprise entre 3,75% et 4%.
Ce quatrième relèvement de 0,75 point de pourcentage consécutif, qui figurait implicitement dans les projections dévoilées à l’issue de la réunion du FOMC du 21 septembre, est désormais validé par les indicateurs récents. L’inflation se révèle persistante, malgré le recul prononcé des prix de l’énergie observé durant l’été. Le renchérissement «sous-jacent», hors énergie et alimentation, évolue à un rythme très supérieur à la faible progression requise pour atteindre l’objectif de 2%. En outre, le marché du travail aux Etats-Unis demeure tendu, comme en témoigne un taux de chômage à 3,5% propice au développement d’une boucle «prix / salaires».
Les projections du FOMC intègrent ensuite un ralentissement de la cadence de ce cycle épique de relèvements de taux d’intérêt qui entraînent des pertes inédites pour les investisseurs. Les déclarations de plusieurs membres du FOMC (Lael Brainard, Esther Georges, Charles Evans…) et un article du Wall Street Journal, souvent utilisé comme canal d’information informel par la Fed, semblent préfigurer un changement de rythme dans un avenir proche, vraisemblablement dès le 14 décembre. Ces signaux marquent une rupture par rapport à la surenchère pratiquée depuis l’intervention de Jerome Powell à Jackson Hole.
Alors que le changement de ton de la Fed réjouit Wall Street qui a enregistré des gains significatifs la semaine passée, les obligations ont continué à fléchir en raison d’un redressement des rendements à long terme impliquant un «bear steepening» de la structure des taux d’intérêt en dollars. Le rendement du T-Note US à 10 ans a ainsi dépassé 4,3% avant de refluer aux environs de 4,2%, tandis que les rendements à court terme avoisinent 4,6%. Alimentée par un rebond des anticipations d’inflation, la légère désinversion de la courbe de rendements en dollars ne mérite pas d’être célébrée comme un symptôme réjouissant, justifiant une exposition accrue aux actifs risqués.
La chute de Liz Truss
En Europe, des tensions assez vives ont conduit le rendement du Bund allemand à 10 ans aux environs de 2,5%. La structure des taux d’intérêt en euro a ensuite reflué, en phase avec le mouvement de détente intervenu aux Etats-Unis et au Royaume-Uni où l’orthodoxie de la Banque d’Angleterre a finalement conduit à la chute de Liz Truss. Rishi Sunak, qui a déjà officié en tant que ministre des Finances (Chancelier de l’Echiquier) de Boris Johnson, lui succédera et devrait conduire une politique fiscale moins périlleuse, loin de la rupture laxiste proposée par l’éphémère gouvernement Truss avant d’être sanctionnée par le marché.
Quant au marché du crédit aux entreprises, les primes de risque associées aux emprunts de catégorie «investment grade» se sont élargies pour atteindre 185 points de base en moyenne (indice ICE, OAS-Gov) dans un contexte marqué par une forte volatilité des rendements et des signes de stress qui se manifestent sur un nombre croissant de segments fragilisés par la politique monétaire restrictive des banques centrales occidentales.